• Sans nom 5

    Chapitre 5

     

     

                J’entends la porte de ma chambre s’ouvrir, mais je sais déjà quelle heure il est et je sais qu’il s’agit de ma mère, aussi je n’ouvre pas mes yeux, pour ne pas gâcher son plaisir de me réveiller.

    -          Coucou, ma puce… C’est l’heure de se réveiller, y a école…

    -          Hum… Je me lève.

    Ma mère éclate de rire et me demande :

    -          Tu as fait de beaux rêves ?

    Je hoche la tête. Si seulement elle savait… Depuis plusieurs années mes nuits se résument à quatre heures de sommeil, quand ce n’est pas moins. De minuit à quatre heures du matin je dors bien, mais c’est là un moindre repos, qui ne me suffit pas et il n’est pas rare de me voir tomber de fatigue.

    Comme ma mère et sorti de ma chambre pour aller réveiller mes frères, je me lève et m’habille. Mais une envie pressante me rappelle à l’ordre et je cours aux toilettes, situées dans notre salle de bain. Alors que j’allais sortir, la porte s’ouvre sur mon beau-père. Il me fait un sourire et me demande si ça va. Distraitement je lui réponds que tout va bien et alors que j’allais lui dire de me laisser sortir pour que j’aille préparer le petit déjeuner, il referma la porte.

    -          Attends je veux te montrer un truc…

    Oh non !!! Bonne pâte je me tais et attends patiemment, ayant appris avec le temps qu’il était de toute manière inutile d’essayer de le fuir. En faisant ça on l’énerve et il se met en colère, ce qui ne rime à rien.

    Il attrapa sur une étagère un petit tube violet où le seul mot que j’eus le temps de lire fut gel. Tout de suite je m’apaisais en me disant qu’il allait juste se coiffer devant moi, mais je ne savais pas à quoi servait CE gel là. L’angoisse se saisit à nouveau de moi quand je le vis déboutonner son pantalon et ouvrir sa braguette. Il me répugnait sincèrement. Il sortit son sexe de son slip et déposa une noix de gel dans une de ses mains. Puis il se mit à le caresser avec le gel. Dégoûtée je détournais le regard.

    -          Tu veux essayer ?

    Je fis non de la tête. Ce type était totalement malade ! Il voulait que je mette ce truc gluant dans ma main pour ensuite le caresser ! Mais il est vraiment fou !

    -          Tu as vu ? Il aime ça. Il est tout dur.

    Alors qu’il rigolait, je hochais simplement la tête et regardais d’un air implorant la porte. Mais quand pourrais-je donc sortir ?

    Soudain, mon beau-père s’approcha de moi. Il me fit asseoir sur le rebord de la baignoire et déboutonna mon pantalon :

    -          Ecarte les jambes !

    Tremblante de dégoût j’obéissais. Car c’est ainsi qu’on m’avait éduquée, il fallait obéir, tout le temps obéir. Même si on n’aimait pas. Je sentis une main se glisser dans ma culotte alors que je regardais toujours la porte, mais cette fois pour esquiver son regard plein de désir. Il fit aller et venir son doigt plein de gel sur mon sexe, et soudain, sans prévenir il l’enfonça en moi. C’était si sale, que je dus faire un effort considérable pour réprimer les larmes qui menaçaient de couler.

    -          Tu aime ça, murmura-t-il.

    Encore une fois je ne pus qu’hocher la tête, incapable d’ouvrir la bouche. J’avais peur, j’étais dégoûtée et je sentais qu’il allait se passer quelque chose d’important ou de grave, bref d’imprévu aujourd’hui.

    Enfin il me laissa sortir. Je reboutonnais mon pantalon et descendis les escaliers quatre à quatre, de peur qu’il ne se ravise et me demande de retourner dans la salle de bain. Arrivée dans la salle à manger, je souris à ma mère qui rayonne particulièrement. J’adore la voir si heureuse. Machinalement et toujours en souriant, j’attrape ma tasse dans le placard et sors la brique de lait du frigo. Je remplis ma tasse, la met à chauffer, verse le chocolat et je vais enfin m’asseoir à table pour déguster ma boisson. D’habitude, je ne bois que mon chocolat, mais ce matin je pense au bébé et me dit qu’il faut que j’en prenne soin. Aussi j’attrape deux biscuits et les croque avidement, me rendant compte que je meurs de faim.

    -          Dépêche-toi, ma puce… Le bus va bientôt arriver !

    -          Ouai… Je me dépêche.

    Ma mère me regarda avec attention avant d’hausser les épaules dans un geste d’incompréhension. Elle aurait compris que cela m’aurait étonné !

    N’y tenant plus, je posais ma tasse dans l’évier et aller dans le garage chercher mes chaussures et mon manteau. Je m’habillais en deux temps trois mouvements, et j’allais à la porte d’entrée. J’attendis mes frères et enfin, voyant le bus à la fenêtre je leur criais de se dépêcher. On sortit et on couru pour ne pas trop faire attendre le chauffeur, qui nous sourit avec un air indulgent. Une fois dans le bus, je pus me poser et c’est alors que je m’apercevais d’une chose : j’avais le ventre noué, une angoisse m’étreignait, mais je ne savais pas pourquoi.

    L’auxiliaire du bus, une femme qui restait avec nous pour nous surveiller et que l’on aimait tous (en plus sa fille s’appelait comme moi et on avait le même âge), s’approcha doucement de moi avec un sourire qui se voulait réconfortant sur les lèvres.

    -          Tu sais Chiara, ma fille m’a tout raconté… Je te conseille de ne pas le dire à Emeline, car cela va te créer beaucoup d’ennui, elle ne sait pas tenir les secrets…

    -          Oui, oui Myriam, t’inquiète je lui dirais rien…

    Mais il était déjà trop tard, Emeline était celle qui savait tout et avant tout le monde. C’était ma meilleure amie et jusqu’à présent elle n’avait pas trahit ma confiance. Enfin nous étions arrivés à l’école, mais étrangement au lieu de ressentir du soulagement comme c’était toujours le cas quand j’arrivais à l’école, je sentis mon ventre se nouer encore plus et une boule se coinça dans ma gorge. Je dus retenir mes larmes et j’attendis que tout le monde soit sortit pour descendre.

    -          Bon courage, Chiara ! Et surtout n’oublie pas, je te conseille de  ne rien dire à Emeline.

    Je ne sais pas ce que je lui ai répondu, mais ça a du lui suffire, car elle me sourit. J’entrais dans l’école comme un prisonnier rentrerait dans sa cellule. Cette sensation de mal-être n’était pas normale, surtout à l’école… Je décidais de me ressaisir et de passer outre. Je souris à tout le monde et comme à mon habitude, j’allais voir Annick, la surveillante de la garderie. J’avais sympathisé avec elle est presque tous les matins je marchais à ses côtés et je lui faisais la conversation. Alors que l’on était en train de parler vivement, j’entendis une voix grave m’appeler. Bien que je l’eu reconnu je me dis que c’était impossible et en me retournant pour voir de qui il s’agissait, la boule dans ma gorge grossit. Il s’agissait de Monsieur Legrand… Je laissais donc Annick seule, et le rejoignais.

    -          Viens, nous allons parler dans mon bureau…

    Je me retournais et lançais à l’intention d’Annick :

    -          Je reviens, tout de suite !

    Et je suivais le proviseur. Je l’appréciais beaucoup, mais je savais ce qu’il avait à me dire et c’est pour ça que j’aurais préféré ne pas entendre sa voix. Arrivé dans son bureau, il me fit asseoir et commença d’une manière légère :

    -          Comment ça va, Chiara ?

    -          Oh, ça va Monsieur !

    -          Tu en es sûre ? Tu n’as rien à me dire ?

    Je voyais où  il voulait en venir, mais je ne pouvais pas lui dire. Je n’y arriverais jamais et je n’avais pas le droit… Alors je décidais de le laisser attendre un peu, de le laisser m’interroger, de trouver une manière plus commode pour aborder le sujet.

    -          Non, Monsieur, je n’ai rien à dire.

    -          Tu n’as pas parlé à tes camarades de choses un peu étranges, hier ?

    -          De choses étranges ? Non, Monsieur…

    Pourvus que le déni marche et qu’il pense que je suis une menteuse ou que quelqu’un a menti sur mon compte… Bref tout, pour qu’il abandonne son interrogatoire et qu’il me laisse partir !

    -          Bien, on va procéder autrement. Car je sais que tu as dit des choses à tes camarades et je sais que tu n’as rien put inventer. Alors voilà, hier, un parent d’élève m’a appelé pour me dire que tu t’étais plainte du comportement de ton beau-père envers toi… Est-ce vrai ?

    Voyant qu’il ne me lâcherait pas tant que je n’aurais pas dit la vérité, tant que je n’aurais pas avoué, je décidais de lui dire la vérité. De toute façon, je n’en pouvais plus de mentir, ça ne me ressemblais pas. Honteusement, je hochais la tête.

    -          Le parent d’élève qui m’a appelé, c’est le papa d’Antonin. J’ai fait une liste des choses qu’il m’a dites. Alors je vais te les énoncer et tu auras juste à dire oui ou non, d’accord. C’est juste pour voir si ce garçon a menti à ses parents sur certains points ou si on lui a dit des choses totalement fausses. Ainsi, tu éviteras les ragots.

    Il énonça donc tous les mots et je répondis oui à presque tous. Presque, car je ne pouvais pas tout lui avouer… C’était vraiment trop la honte ! Et puis, je ne voulais pas attirer de problèmes à mon beau-père malgré toute la haine que j’avais contre lui quand il me salissait, je ne pouvais pas lui faire ça.

    Monsieur Legrand m’expliqua que selon les réponses que je lui avais fournies il s’agissait d’attouchements. Bien sûr, j’ignorais le sens de ce mot, mais je comprenais très bien ce qu’il signifiait… Il me dit qu’il appellerait ma mère pour avoir un rendez-vous avec elle et mon beau-père pour leur expliquer la situation. Par la suite il porterait plainte contre mon beau-père, car quand on a fait une bêtise on doit être punis. Je hochais la tête continuellement pour lui signifier que j’avais compris et pour qu’il me relâche vite ! Il dut entendre ma prière muette, car il me dit enfin :

    -          Allez ! Tu peux retourner jouer dehors ! Enfin, je ne te vois pas jouer mais bon…

    -          Non, Monsieur, je ne joue pas… Je parle avec Annick !

    -          Alors je te laisse rejoindre Annick.

    Je redescendais en hâte, pour m’éloigner au plus vite de cet endroit qui dorénavant représenterait ma principale source de stress. Bien sûr, Annick voulait savoir ce que Monsieur Legrand me voulait… Déjà par curiosité, car j’étais une bonne élève sans problèmes (apparents), mais aussi parce que ma tête devait représenter ce que je ressentais et donc ne devais pas vraiment être rassurante. Je m’empressais donc de la rassurer en lui affirmant que tout allait bien et je satisfaisais sa curiosité en lui racontant le plus brièvement possible ce qui c’était passé et ce que Monsieur Legrand m’avait expliqué.

    -          Oh ma pauvre ! Et pendant tout ce temps tu as gardé cela pour toi ?

    -          Oui… Mais tu vois, avant je me plaignais de ce que mon beau-père me faisait, de mes insomnies, j’en pleurais et tout… Et aujourd’hui je sais que le pire m’attend : l’annoncer à ma mère avant que Monsieur Legrand ne l’appelle. J’ai déjà essayé dans le passé, mais… Je ne peux pas, j’ai trop honte et puis c’est son mari, elle pourrait m’en vouloir à mort ! Mais ce qui me retient plus que tout ça, c’est le fait que je vois ma mère heureuse avec lui et que je ne veux pas gâcher son bonheur avec cette histoire. Moi je m’en fous de ce que l’on me fait vivre, tant que ma mère est heureuse alors je suis heureuse… Depuis ma plus tendre enfance c’est comme ça et je ne pense pas que cela puisse changer. Peut-être que j’aime TROP ma mère… Mais est-ce un défaut ?

    -          Ma puce, il est évident que ta mère préfèrerait l’apprendre de toi, maintenant je ne suis pas à sa place et je ne peux pas te dire comment elle va réagir… Mais c’est une mère, et je suis persuadé qu’elle va être extrêmement en colère contre celui qui t’a fait du mal ! Tu ne dois pas avoir honte, tout ce que tu as vécu en silence, dans le froid et la pénombre sans jamais te plaindre, c’est juste… Ultra courageux ! Continue à te battre, garde ta force, ta joie de vivre ! Ne te laisse pas abattre par ce vaurien !

    En guise de réponse, je souriais tendrement à Annick et je changeais de sujet. Je préférais parler de choses légères pour décompresser un peu. Mais alors que je faisais la conversation à cette vieille et adorable femme, mon cerveau, lui, cherchait activement un moyen facile (s’il en existait un) d’annoncer tout ça à ma mère. Par où devais-je commencer et comment ? Maman, tu vas être mamie ! Maman, depuis à peu près trois ans sûr, ton mari couche avec moi ! Ou bien encore prendre le ton plus scientifique du directeur : Maman, ton mari me fait des attouchements. Enfin des attouchements et ça va un peu plus loin… Non, pas d’issues possibles, elle allait me tuer.

    Ma journée se passait dans un brouillard à travers lequel je ne percevais que des bribes de conversations. Je ne savais même plus qui j’étais, ce que je devais faire, qui me parlais, bref je n’étais plus connectée avec le monde extérieur. Je rentrais chez moi, le moral en berne. Ma mère me servit un goûter et j’en profitais pour tenter de tout lui dire.

    -          Maman ?

    -          Oui ?

    -          Euh… Je… Je… Je trouve que tu prépare les meilleurs goûters du monde !

    -          Oh, ben tu sais, ce n’est rien… J’achète un paquet de gâteau, une bouteille de sirop et le tour est joué !

    -          Oui c’est sûr ! Au fait, aujourd’hui Monsieur Legrand m’a convoquée dans son bureau…

    -          Pourquoi ?!

    Dans le regard de ma mère je pouvais voir de la méfiance, de l’inquiétude et de la surprise. En effet, pourquoi m’avoir convoquée, moi, une élève studieuse et légèrement bavarde ?

    -          Il… Euh, il… Il trouvait mon travail excellent et voulait me le faire savoir…

    -          Ah c’est bien, ma puce… Je suis fière de toi, moi aussi. Tu m’as fait peur, j’ai cru qu’il s’agissait de quelque chose de beaucoup plus grave !

    Si seulement tu savais… Encore une fois le poids du silence, la honte, la culpabilité me rattrapaient et j’assistais à ma noyade, sans rien tenter pour sortir la tête hors de l’eau. Une idée me vint, j’allais attendre le coup de fil de Monsieur Legrand et quand ma mère me demanderais pourquoi il voulait la voir (car c’est ce qui allait arriver à coup sûr), je lui dirais tout de but en blanc, sans m’arrêter, même pour reprendre mon souffle. Et alors je serais enfin délivrée.

     

    Chiara Gialini


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